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Tout en Tous
27 juin 2016

La loi El Khomri, une confrontation prétexte qui masque un combat idéologique

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Article publié par l'Agence Press Smart Reading Press - http://asso-afcp.fr  avec une interview de François Asselin, président de la CGPME

  • Le chômage de masse et la contestation sociale perdurent, la violence augmente
  • La contestation de la loi El Khomri ne se préoccupe plus depuis longtemps du problème de l'emploi
  • Les deux parties n'ont plus comme perspectives que les prochaines élections

Les débats, la crispation et même les violences de plus en plus nombreuses et intenses autour du projet de Loi sur le travail, dite Loi El Khomri, ne peuvent nous laisser sans interrogation. En effet la situation financière, économique, sociale et politique de la France apparaît mois après mois de plus en plus délicate et confirme chacun dans la nécessité de réformes et de changements. Pourtant, avec ce projet de loi sur la réforme de l’encadrement du travail, toute évolution ou modification des lois et des codes semble impossible ou tout au moins très onéreuse matériellement et moralement. Les violences, les blocages et les jeux politiques autour de ce projet de loi sont riches d’enseignement sur l’état actuel de la France. Pour comprendre les enjeux de la vie politique française que ces derniers mois ont soulevés, il nous faut cependant regarder de près les défis auxquels la France  est confrontée à l’heure actuelle. 

Un aperçu de la situation française

La France connaît d’abord un manque chronique de ressources financières et un endettement financier important. Ce déséquilibre est souvent masqué dans la mesure où l'on ne prend pas en compte la vente de biens publics souvent à des particuliers étrangers et le transfert de la dette aux collectivités locales qui sont, ainsi, amenées à assumer, dans leur budget local, un champ de dépenses croissant. Globalement, on essaie de racler les fonds de tiroir et on a cassé la tirelire pour financer le budget de fonctionnement.  On n’a pas réussi à infléchir réellement le mode de vie et les dépenses. 

La France connaît également un accroissement constant du nombre de chômeurs de catégorie A qui dépasse maintenant 3 600 000. Le nombre de demandeurs d’emploi qui sont au chômage depuis plus d’un an ne cesse de croître. Parallèlement aux entreprises françaises qui peinent à embaucher, les grands groupes multiplient les plans sociaux ou délocalisent leurs fonctions supports alors que les groupes étrangers sont timides à venir s’installer en France. Il n'y a donc que peu de perspectives majeures qui se présentent pour faire baisser de manière conséquente le chômage ; de leur côté, les finances publiques ne peuvent plus raisonnablement, ponctionner le budget national pour la création de projets qui susciteraient de l'embauche 

Cette crise économique masquée favorise un accroissement des disparités économiques et sociales. Des fossés se creusent qui segmentent la société au point de marcher à plusieurs vitesses. En témoigne la paradoxale augmentation de la consommation des produits de luxe en pleine crise alors que nombreux foyers deviennent de plus en plus fragiles et sont confrontés au surendettement et à la baisse de leur pouvoir d’achat.

Du point de vue social, les derniers attentats ont ébranlé la confiance du peuple quant à l'invulnérabilité de la société. Ces attentats s’inscrivent dans une succession de conflits armés autour du Proche-Orient où sont engagées, les grandes puissances mondiales. Cette violence orchestrée de l’extérieur de la France déstabilise l’équilibre politique du pays, accentue les oppositions internes notamment sur le fait religieux et crée un climat anxiogène et traumatique qui enferme la conscience nationale dans l’émotion des événements. L’État comme le pays tout entier ne semblent pas savoir par quel point inaugurer une réflexion sur les causes et les moyens de lutte contre ce terrorisme d’un genre nouveau.  

Nous vivons mal, mais nous vivions toujours. Tel en témoigne un développement scientifique, médical, biotechnologique et technique très important ainsi que la création de nouvelles possibilités de communications et transports.

C'est dans ce contexte où les tensions politiques et sociales s'affrontent, où se mêlent les espoirs de développement scientifique que doit s'analyser la complexité des décisions politiques. La marge de manœuvre est étroite et la modification de la trajectoire du navire France de plus en plus urgente. Aussi, les errements autour de la loi El Khomri sont d’autant plus étonnants, voire inquiétants.

Que pouvons nous en dire ? 

La situation de plus en plus tendue et complexe montre que les modes d’action et les résistances n'ont pas évolué. Nous gardons en mémoire les blocages massifs et les manifestations durables en 1995 contre le plan Juppé sur la réforme des retraites et de la Sécurité Sociale. Rappelons-nous le mode de négociation et de décision concernant les branches professionnelles ; elles ont fait l’objet de mouvements sociaux importants. Finalement, nous sommes en face du même dilemme : la loi du plus fort ou de celui qui cédera le dernier, dicte les décisions politiques. Quelque chose de nouveau cependant est apparu :, les actions ultra-violentes de « casseurs », conglomérat de « vagabonds de la violence » à l’affût de ce genre d’événements à travers le monde. Ce mouvement s’ajoute à celui du terrorisme et accroît outre mesure la sensibilité du peuple. La République française a pu s’accommoder longtemps de ce type de rapports politiques et sociaux. Aujourd’hui ce système touche ses limites et peut devenir dangereux. Il paralyse toute prises des décisions justes et même des décisions de « bon sens ». 

La décision politique, terrain de jeu des groupes de pression

Car, combattre le contenu de la loi EL Khomri n’apparaît plus comme le vrai motif des mouvements sociaux. Ce texte a été tellement vidé de son contenu et de son intérêt qu'il ne soulève plus ni la contradiction ni l'approbation. Un autre enjeu est apparu : l’opportunité pour les syndicats, spécialement CGT et FO, de montrer leur pouvoir et leur capacité d’action ; et la capacité de la riposte du gouvernement qui ne peut pas se permettre d'échouer compte tenu des élections futures. Nous sommes un peu dans la situation d’un jeu de balles collectif où les joueurs auraient délaissé le ballon en l’abandonnant sur le bord du terrain et seraient en train de se chamailler dans une grande mêlée informe !

En jouant de leur force de revendication, les syndicats ont adopté les enjeux des partis politiques. Car pour le parti politique, l’objectif premier est la popularité et l'augmentation de la base électorale en vue des élections. C'est ainsi que le projet de loi EL Khomri est devenu pour les syndicats l’occasion de « faire campagne ». Et pour le gouvernement en place, l'occasion de montrer « sa capacité » de résister aux revendications de la rue. On se trouve en présence de deux forces politiques qui s'avancent masquées l'une contre l'autre. C'est malsain car la décision politique doit garder une indépendance face aux forces en présence. Elle doit avoir pour finalité le bien commun. La force syndicale, pour sa part, doit veiller à des relations de travail qui combattent l'excès des inégalités dans le partage des richesses de la nation. Dans la situation actuelle, un gouvernement dit de gauche pense élargir sa base électorale en voulant, par la force, promulguer une loi que les forces de cette même base l'accuse de trahir. Ce n'est plus la juste revendication syndicale, ni le juste équilibre de la décision politique. C'est l'affrontement masqué d'une idéologie à double face. La force politique du gouvernement a perdu l'autorité et la force syndicale a perdu sa crédibilité. A l'heure actuelle de la lutte, c’est l’essence même de la décision politique qui est en jeu. 

Même en matière sécuritaire, le gouvernement se contente de gérer l'urgence. En ce qui concerne la loi El Khomri, la conception de ce projet était fondé en raison de l'évolution du marché de l'emploi et l'évolution mondiale des conditions de l'investissement et des relations de travail. Les semaines ont peu à peu noyé la visée de ce projet dans les affrontements politiques. C’est le conflit qui a prévalu sur l’amélioration de l’emploi. On a délaissé la négociation et le compromis pour s'enliser dans la confrontation. Or, c’est justement le compromis qui est le centre de la décision politique. Les négociations avec la CGT et FO n'ont pas évolué vers un juste compromis ni vers une décision concrète, durable et rationnelle possible. 

Quand le temps électoral prend le pas sur le temps politique

Le temps électoral prend le pas sur le temps politique, nous constatons un raccourcissement régulier des perspectives décisionnelles. Certes, le monde s’est beaucoup ouvert et plus aucune décision ne peut être raisonnablement prise sans prendre en compte la réalité européenne et mondiale (on peut cependant l’ignorer mais la réalité le rappelle toutefois). Certes, le monde va de plus en plus vite et est très changeant mais cela n’empêche pas et même oblige le politique à voir au-delà des événements. Il ne peut pas seulement réagir et réparer mais doit aussi anticiper et orienter. La loi et la décision politique sont comme une visée et une direction. 

Au contraire, nous l’avons vu, le court terme et le provisoire ont pris le dessus, car les élections prochaines sont devenues l’échéance ultime et majeure. Quand cela se produit, les décideurs font face à une faible marge de manœuvre politique. Ils sont obligés  de fonctionner par petites touches ou itération. Le temps politique, lui, nécessite ce double niveau de l’immédiateté et de la vision qui permet une gradualité dans la décision. Cette vision du temps va de pair en outre avec la vision de la société dans son ensemble. Voilà ce qui a disparu dans la lutte entre le gouvernement de Manuel Valls et les revendications passablement outrancières de Martinez. L'un ne cède plus sur le principe d'une loi qui ne contient presque plus rien ; l'autre veut obstinément le retrait de la loi. Deux zéros s'affrontent !. Chacune des deux parties n'ayant en vue que les élections prochaines. L'une pour déboulonner un gouvernement dont il estime qu'il a trahit la classe ouvrière ; l'autre pour se maintenir en place. Mais que devient le vrai réel social dans cet affrontement insensé ?

La réforme du marché et du code du travail visaient à lutter contre le chômage de masse. On a délaissé cette visée politique pour passer à un débat sur la défense des droits de quelques-uns. La vraie réalité de la réintégration des plus de 3 millions de personnes dans le marché du travail n’a plus jamais été évoquée. On a mis le ballon de côté et on s'est empoigné pour du vide. C'est le symptôme d’une société morcelée et segmentée. Deux mondes impénétrables se sont affrontés en vain. Le premier celui du sans emploi, n'a plus eu aucune reconnaissance de sa réalité sociale ; il n'avait plus rien à voir avec l'autre monde, celui de l’emploi et de l’activité professionnelle.  Nous avons donné le triste spectacle d'une société incapable d'unité et d'intégration ; nous l'avons remplacé par l'exaltation du particularisme et de l'individualisme. Ceci est d’autant plus grave quand cela concerne le marché du travail. Le chômage, quand il devient un particularisme d'une société devient une sorte de consécration de l'inutilité sociale. Cela ne peut qu'entraîner un grave déséquilibre social. Le monde des sans-emploi mine la capacité des citoyens dans leur liberté et dans la confiance qu'ils ont dans la société. La vision de la loi et du dispositif législatif tend à baliser voire « standardiser » de plus en plus les relations sociales et économiques. Les droits et les devoirs sont définis non plus par rapport à un bien commun mais par rapport à des calculs de simples valeurs économiques. Le premier effet est de sous-estimer de façon grave la liberté d'entreprendre et même d'embaucher. A tout définir et chiffrer pour garantir et protéger, l’homme se trouve mis de côté dans son autonomie et sa responsabilité. 

Les événements actuels autour de la Loi El Khomri ne sont pas péripéties auxquelles il fallait s'attendre. Ils sont les effets de difficultés bien plus graves que nous venons d'évoquer. Ils sont les symptômes d’une société politique qui doit changer de paradigme, de mode de décision et de vision et même du sens de la responsabilité. Quelle est la place de l'homme et de la mission de la société ? Il ne s’agit plus aujourd’hui de prendre les « bons outils » – bien que cela soit essentiel - mais de savoir quelle œuvre nous voulons façonner dans le temps. 

 

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